Correspondance de Nestor Lhote - Egypte de F1ADC

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Correspondance de Nestor Lhote

Nous avons sélectionné ci-dessous des extraits de sa correspondance tant privée que professionnelle de 1828 à 1829,
durant son premier voyage en Egypte avec Jean François CHAMPOLLION.


 
 


Lettre à ses parents n°2 – Alexandrie, 23 aout 1828

« …maintenant passons sur les extases, les transports, et tout ce que j’ai ressenti d’émotions en me sentant le pied en Egypte ; je veux vous dire comment nous vivons à Alexandrie, et vous rassurer sur toutes les inquiétudes que vous pourrez avoir pour la suite du voyage. Mr Champollion a son appartement chez le consul de France, Mr Drovetti ; et Mr Rossellini, ainsi que les Toscans qui l’ont accompagné, demeurent chez le consul de leur nation. Nous autres cinq, Duschene, Bertin, Lehoux, Bibent et moi, demeurons dans une petite maison composée de deux pièces, et appartenant au consul qui nous a logés faute de place dans son hotel… »

« …a 4 ou 5 heures nous nous réunissons et nous partons pour la promenade, dont le but est toujours d’aller visiter un monument antique ou des ruines interessantes. Avant-hier matin nous sommes allés à la colonne de Pompée, et hier à l’obélisque de Cléopâtre, dont nous dessinons les hiéroglyphes. Je profite aussi de ces promenades ou de quelques instans de la journée pour faire des croquis d’album ; quelle collection je vais rapporter, et quel volume de notes !… »

Lettre à ses parents n°3 – Alexandrie, le 14 septembre 1828

« …Mr Drovetti et Mr d’Anastasi, les intimes du Pacha, avaient reçu de lui la permission d’exploiter à eux seuls le monopole des antiquités et des fouilles de l’Egypte, et ils voyaient de mauvais œil le voyage de Mr Champollion, qui allait un peu les gêner dans leurs spéculations ; Mr Drovetti jugea à propos d’écrire au Ministère et à Mr Champollion pour faire ajourner l’expédition sous prétexte que les circonstances actuelles n’étaient pas favorables ; et sa lettre n’était arrivée à Paris qu’après notre départ, ce qui avait rendu inutile la dépêche télégraphique… »

« …Mr Champollion est allé aujourd’hui chez le Pacha et ces Messieurs se sont fait réciproquement mille complimens. Mohammed a été plus affectueux que jamais ; les firmans sont délivrés, et liberté pleine et entière, avec protection et assistance, d’aller partout où on voudra, de déblayer, fouiller et emporter tout ce qui aura été découvert, faveur à laquelle Mr Drovetti et l’autre auraient voulu mettre opposition. C’est encore une petite histoire que je vous raconterai ou que je vous lirai à mon retour… »

Journal 1833 – El-Tell (Amarna)

«...dans la soirée nous avons fait une halte auprès du village appelé El-Tell. On y remarque les restes d’une ville égyptienne entièrement construite en briques crues. C’était Psinaula. Un pylône encore debout a paru le seul vestige de quelque importance ; les autres ouvrages sont pour ainsi dire rasés, car leurs substructions les plus élevées ne dépassent pas trois ou quatre mètres de hauteur ; du reste le plan de la ville se dessine avec une netteté admirable, et l’on peut se promener sans fatigue à travers de vastes rues parfaitement alignées, d’une belle largeur et d’une propreté remarquable. En suivant les divisions des quartiers, la distribution des maisons et celle des appartemens, on se demande ce que sont devenus les décombres des étages supérieurs qui devraient obstruer les passages ; les derniers habitans de Psinaula auraient-ils voulu faire à la postérité la galanterie de déblayer ces ruines pour lui montrer comment ils étaient logés ?… »

Lettre à ses parents n°6 – Siout, le 8 novembre 1828

« …nous avons fait une station de quinze jours à Béni-Hassan, village abandonné, sur la rive droite du Nil ; nous y avons travaillé sans interruption dans les grottes antiques creusées sur le penchant de la montagne, et ces Messieurs Champollion et Rosellini se vantent d’avoir déjà en dessins le plus riche portefeuille que jamais voyageur ait rapporté. C’est qu’en effet, douze personnes travaillant du matin au soir en abattent de fameux panneaux !… »

« …nous autres artistes, nous allions chacun de notre côté, munis de notre boite d’aquarelles, faire des croquis et des pochades et parcourir les environs ; j’avais, de plus que les autres, dans ma ceinture, un marteau qui ne me quitte pas et dont je me servais pour casser des pierres et chercher des minéraux. A la nuit tombante, un coup de sifflet nous rappelait à bord, et nous soupions. Après cela, on remettait à Mr Champollion le travail de la journée et chacun faisait ses petites affaires : les uns fumaient, les autres jouaient aux échecs où à la bouillotte, ou à l’écarté, et moi, dans mon petit coin, j’écrivais mes notes de la journée, j’empaquetais mes minéraux ou je lisais… »

« …je rapporterai de mon voyage, sans frais de transport, une quantité prodigieuse de minéraux, des dépouilles de jolis oiseaux à empailler, des animaux dans l’esprit-de-vin, et en sus, des antiquités, des centaines de croquis et d’aquarelles, des études à l’huile, et un volume de notes… »

Lettre à Mr DAVID – Thèbes, 25 novembre 1828

« …en attendant je vous dirai que d’après les découvertes et les aperçus de Mr Champollion, la chronologie des rois d’Egypte doit subir des changements notables : tel roi que l’on croyait antérieur à tel autre a régné plusieurs siècles après ; tel autre vécut six ou sept cent ans plus tôt qu’on ne croyait, et ses monumens, couverts de bas-reliefs historiques, portent inscrits ses hauts faits et ses victoires… »

Lettre à ses parents n°10 – Ibsamboul (Abou Simbel), les 12 et 16 janvier 1829

« …Mon cher Papa, ma chère Maman, un courrier nous est arrivé hier du Caire ; il apportait des lettres pour Mr Rosellini, et rien pour nous autres français ; pourtant, il y avait deux lettres de Paris dans le paquet de Mr Rosellini, et nous savons positivement que tous les mois, un bâtiment français au moins part de Toulon pour Alexandrie. Je vous ai déjà parlé de Mr Drovetti ; ceci est encore une preuve de sa mauvaise conduite à notre égard ; l’arrivée de Mr Champollion le contrariait dans ses projets de spéculations ; il avait fait tout son possible pour empêcher le voyage, et n’ayant pas réussi, il veut du moins faire toutes les petites méchancetés qui dépendent de lui ; victime comme les autres, je pâtis cruellement de cette ignoble vexation, puisqu’elle me prive de vos nouvelles. Il faut donc que toutes mes lettres soient des jérémiades. J’en suis bien fâché, mais à qui ferai-je part de mes chagrins si ce n’est à vous ?… »

« …je me porte très bien, sauf la graisse, c’est-à-dire que je ne puis pas grossir beaucoup en faisant l’hiéroglyphe toute le journée, le croquis tous les soirs, et mon journal toute la nuit. Mais je vous ai déjà dit que ma figure se remplissait, ce qui prouve :1° que je suis en bonne santé, 2° que je puis engraisser comme un autre, 3°…il n’y a rien pour le tertio… »

« …faut-il que je vous le dise ? Mr Champollion, qui nous l’avait caché jusqu’à présent, nous a dit que nous ne nous embarquerions pour France que dans les prochains jours d’octobre, époque à laquelle un bâtiment déjà commandé sera à notre disposition ; nous lui en voulons tous un peu de nous avoir ainsi trompés, et de retarder de deux bons mois notre retour en France ; en comptant la quarantaine, nous ne pouvons arriver qu’en décembre, en hiver, c’est bien dur. L’un d’entre nous, Duchesne, est décidé à quitter Mr Champollion à l’époque convenue, parce que ses affaires l’y forcent ; quant à nous, et moi en particulier, nous ne pouvons nous empêcher de suivre la bonne fortune du Général jusqu’au bout, et je n’aurais réellement pas de motifs pour le lâcher brusquement, quoique la convention écrite que nous avons tous entre les mains donne à la durée du voyage, y compris le retour, quatorze mois et quinze au plus, du 20 juillet… »

« …nous avons été jusqu’à présent fort occupés, nous le serons moins à Thèbes parce que nous devons y séjourner longtems et que l’on mettra dans le travail plus de mesure et d’ordre qu’il n’y en a eu jusqu’à présent. C’est du moins ce que promet Mr Champollion qui s’est montré, en conscience, trop exigeant ; mes trois collègues sont outrés contre lui, parce qu’il leur avait promis plus de la moitié du tems pour eux, condition qu’ils avaient exigée pour venir, tandis qu’il les fait piocher sans relâche. Quant à moi, je fais mon affaire et vais mon train ; je contente tout le monde. J’ai pris mon franc parler avec Mr Champollion, à qui je parle franchement quand il est ridicule ; nous n’en sommes que meilleurs amis. Entre nous, Mr Champollion, hormis les hiéroglyphes et les sciences ou il est extraordinaire, est du reste irréfléchi, enfant, ignorant les convenances et les égards, en un mot, incapable de conduire une expédition. Je mets à profit les plus petits intervalles de liberté et les moindres circonstances du voyage ; j’ai grossi mon portefeuille de cent quatre vingt dix croquis ou aquarelles, et mon journal de plus de deux cent pages ; à Thèbes, j’aurai plus de tems, cela ira mieux et je ferai des études à l’huile, si j’ai assez de couleurs… »

Lettre à ses parents n°12 – Thèbes (Louxor), les 18,22 et 29 mars 1829

« …j’ai le bonheur, pour mon particulier, de me trouver toujours sous la main du Patron, qui me gratifie de mille préférences dont je pourrais me passer, parce qu’elles entraînent pour mes travaux personnels une perte de tems que je ne saurais que trop regretter. Cependant je dois à ces préférences quelques promenades assez agréables aux environs, et entre autres une course à Karnak presque tous les soirs ; le but de cette promenade est de faire l’inspection des fouilles que Mr Champollion fait faire aux environs du palais et dans l’emplacement de l’ancienne ville. Une heure ou deux avant le coucher du soleil, des ânes superbes, sellés et bridés, m’attendent sur le rivage, et je me rends, accompagné d’un domestique, au lieu des fouilles : trente ou quarante fellahs, nus comme la main, environnés d’un nuage épais de poussière, travaillent au fond d’un gouffre de soixante à quatre-vingt pieds, qu’ils ont creusé à travers plusieurs étages de maisons antiques de différentes époques. Les plus anciennes, celles des tems pharaoniques, sont les dernières à trouver ; c’est dans ces espèces de cellules à quatre murs que l’on trouve quantité d’objets précieux, et ces beaux bronzes si recherchés dans les collections. Je suis allé il y a quarante-cinq jours à Gournah avec MM. Champollion et Rosellini. Gournah, je crois l’avoir déjà dit, est un village situé sur la rive gauche du Nil et au pied de la montagne qui domine à pic toute la partie occidentale de Thèbes. Les habitans de Gournah se logent, au lieu de maisons, dans les grottes sépulcrales des anciens égyptiens, et vivent en quelque sorte du produit de leurs fouilles ; exploitation immense, inépuisable et qui produira dans deux mille ans ce qu’elle n’a cessé de produire depuis que la soif de l’or à réveillé l’avidité des Arabes… »

« …les fouilles avaient produit une grande quantité d’objets trouvés dans les tombeaux, et plus de quarante momies avec leurs caisses ; mais l’événement le plus interessant de la journée fut notre entrée dans un tombeau intact, découvert pendant notre absence et dont on n’avait pas ouvert l’entrée, suivant les ordres rigoureux de Mr Champollion… »

« …je n’oublie pas ma petite collection à laquelle Mr Champollion ajoute de tems en tems un morceau. Il promet de me donner beaucoup de choses, mais j’ai appris à ne pas tenir grand compte de ses promesses ; il nous avait promis un voyage en Grèce, en Italie, il nous avait promis la moitié de notre tems, et rien de tout cela ! les scarabées deviennent de jour en jour plus rares, j’ai beaucoup de peine à en réunir huit ou dix que je conserve précieusement : en Europe c’est un joli cadeau à faire aux personnes pour lesquelles on a une considération et une estime particulières ; je sais à qui je donnerai mes scarabées… »

« …le tombeau le plus prodigieux, par son étendue et par l’immensité des sculptures et des peintures qui le décorent, est celui de Ramsès Méiamoun – surnommé par Mr Champollion « le grand Tapeur » - le Louis XIV des égyptiens ; celui qui a construit le gigantesque et terrible palais de Medinet-Abou… »

« …Mr Champollion, sans s’occuper d’autre chose que de ce qui lui convient, part avec son bagage et nous laisse nous débrouiller au milieu d’un chaos et d’une bande d’Arabes qui volent tout ce qu’ils peuvent… »

« …je travaille toujours comme un forcené : dans ma gloutonne ardeur je voudrais tout avaler, tout dévorer ; je n’oserais pas vous dire tout ce que je fais, je suis étonné moi-même ; j’ai près de deux cent cinquante dessins et plus de quatre-vingt aquarelles. Mon journal très circonstancié, et tous les jours mis au courant, devient assez volumineux ; j’en ai cinq cahiers in-12, de quatre-vingt-dix pages chacun, sans compter les descriptions séparées de plusieurs monumens, les détails de notre séjour au Caire, ni ma correspondance, quoique mes lettres soient passablement longues. Avouez que je vous écris souvent et que j’en dis long chaque fois. Eh bien, à mon retour, ce sera encore pis. Oh ! je serai bavard, bavard ! j’en aurai tant à dire ! Ce voyage d’Egypte sera une bien belle époque de ma vie ; j’étais jeune et pourtant, je reviendrai vieux d’expérience et de sagesse, car je n’aurai pas appris seulement à quelle époque et sous quel pharaon fut construit tel ou tel monument, et quels furent les titres de Sésostris et des Ramsès à l’admiration de la postérité, j’aurai appris quelque chose de plus précieux, quelque chose de plus moral, j’aurai appris à connaître les hommes. Ainsi, ce voyage m’aura instruit de plusieurs manières, mais qu’il me tarde d’être revenu en France, et de descendre de la diligence, de vous revoir, de vous embrasser tous !… Ah ! la tête me tourne !… »

 
 
 
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